Par Bernard Landry, en collaboration avec Guillaume Hubermont
Les pionniers de Natashquan vivent les cinq premières années suivant leur arrivée, de 1855 à 1860, sans organisation paroissiale. Les premiers prêtres, les oblats Charles Arnaud1 et Louis Babel2, ou encore l’abbé Jean-Baptiste Ferland3, visitent régulièrement Natashquan dans leurs tournées missionnaires.
Lors d’une de ses nombreuses missions au Labrador, l’abbé Ferland, de passage à Natashquan au mois de juillet 1858, indique le lieu où devrait être érigée la chapelle :
« Sur la pointe qui s’avance dans le havre, près de l’embouchure du petit Nataskouan, un plateau, élevé d’une quarantaine de pieds au-dessus du niveau de la mer, est encore tout couvert de bois. Ce serait, il me semble, le lieu le plus convenable pour la chapelle.4 »
En 1859, il y a quelques échanges de correspondance entre l’Archevêché de Québec et le petit village de Natashquan. Le sujet de ces lettres traite surtout de l’emplacement du terrain pour la construction de la chapelle et de ses dépendances. Le 20 mai, une lettre destinée au Père Louis Babel par Mgr Charles-Félix Cazeau5, vicaire général du diocèse de Québec, mentionne surtout l’endroit et les dimensions de la chapelle. Une autre lettre du 5 juillet, destinée à Paul Vigneault, l’un des pionniers du village, précise que « la construction de la chapelle est commencée.6 »
Dès l’automne, on délaisse les autres ouvrages pour se consacrer à la construction de l’édifice. Le bois nécessaire à la construction est coupé à l’intérieur de la grande rivière Natashquan par toutes les familles.
La Providence semble vouloir accélérer les choses lorsqu’un trois mâts, barque nouvellement construite, vient s’échouer sur les bancs de Natashquan. Ce navire de 126 pieds de longueur, jaugeant 443 tonnes et construit à Québec par Narcisse Rosa7, venait d’être mis à l’eau et inauguré, le 25 juillet de cette année-là. Sa carrière fut donc de courte durée : après quelques mois de navigation seulement, alors qu’il était commandé par le capitaine Flaherty, le Flora alla s’échouer sur les bancs de Natashquan. Il était tellement ensablé qu’on ne put le retirer de sa position dangereuse. Il fut donc condamné et vendu pour le compte des assureurs, au prix de 50 louis8. Mais les acheteurs y perdirent de l’argent. Les seuls à en profiter vraiment furent sans doute les pionniers de Natashquan, qui purent en retirer plus d’une pièce de bois pour construire leurs maisons mais aussi et surtout leur nouvelle église9.
Cette « aubaine » pour les bâtisseurs de Natashquan est rapidement suivie par une autre, l’année suivante :
un voilier américain de 6 000 tonnes, chargé de bois, arrivant de Liverpool, fait naufrage à Natashquan alors qu’il se dirigeait vers Québec. Vers le début de septembre, commence une tempête qui durera plusieurs jours consécutifs et se fera sentir d’une manière terrible dans le golfe du Saint-Laurent. Le voilier s’échoue d’abord sur un banc de sable, à une distance d’environ un demi-mille de l’embouchure de la grande rivière Natashquan. Une semaine plus tard, une grosse tempête emporte le voilier plus près de l’embouchure de la rivière.
L’édition du 11 septembre 1860 du journal officiel « The Quebec Mercury10 » relate les faits suivants : « Un télégramme reçu ce matin par Mr Henry Fry, du capitaine Grange, du vapeur Bohémian, énonce que le navire américain Moses Taylor, parti le 1er de ce mois de Liverpool, est échoué dans la baie de Natashquan et qu’il a besoin d’assistance immédiate.11 » Mais le 24 novembre de la même année, on retrouve l’énoncé suivant dans le journal : « Le capitaine Laverick rapporte que le capitaine du Moses Taylor, échoué à Natashquan, a vendu son bateau et son cargo.12 »
La cargaison, du pin, est effectivement vendue à la compagnie de pêche « De La Parrelle13 », de Jersey, pour la modique somme de cinq cents dollars14. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les pionniers de Natashquan retirent une fois de plus de ce naufrage une quantité importante de bois qui leur sert à la construction de l’église.
Et la chapelle s’élève, à l’endroit même qu’avait mentionné l’abbé Ferland. Sa construction est orchestrée par Hilaire Carbonneau, jeune homme de Berthier, marié à Honorine Vigneault, fille de Paul Vigneault, un des pionniers du village.
C’est à la dynastie des Carbonneau, père, fils et dans une certaine mesure petits-fils, que l’on doit la construction, l’agrandissement et l’entretien de l’église actuelle de Natashquan. Ces artisans-charpentiers se transmettaient leurs connaissances d’une génération à l’autre. En plus de réaliser l’érection et l’entretien de nombreux bâtiments du village et de la région, ils ont construit bateaux, canots, chaloupes, barges et petites goélettes. En 1859, Hilaire Carbonneau, menuisier de métier, quitte son village natal, Berthier, pour s’installer à Natashquan. L’année suivante, le 30 juin 1860, il épouse Honorine Vigneault, fille de Paul Vigneault et de Marie Boudreau, pionniers du village. Outre l’église, on doit notamment à Hilaire Carbonneau la construction de l’imposant presbytère en 1904 et de la petite école en 1913. Il décède le 14 mars 1919, à l’âge de 80 ans. Ses fils Edmond, Vilbon, Télesphore, Ernest, Alphonse, Chrysologue et Etienne suivent rapidement les traces du père et travaillent le bois en plus de pratiquer la pêche. L’été, ils construisent maisons et bâtisses; l’hiver, ils construisent et réparent dans leurs ateliers, portes, fenêtres, meubles, cométiques, voitures d’eau, cercueils, etc.
L’abbé François-Xavier Plamondon15, en mission à Natashquan à l’automne 1860, suggère aux paroissiens de construire un presbytère non loin de la chapelle. La population se met immédiatement à l’œuvre afin que l’édifice soit prêt avant l’arrivée du missionnaire au printemps suivant.
Le 10 mai 1861, l’abbé François-Magloire Fournier16 est nommé comme premier prêtre résident de la paroisse de Natashquan. Le 29 juin, fête de la Saint-Pierre, il
bénit solennellement la chapelle de Natashquan avant la grand-messe et la place sous le vocable de l’Immaculée-Conception. C’est Ferdinand Gauvreau, marchand de Québec, qui donne la cloche. Elle est bénite le 5 mai sous le nom de « Antoine – Marie – Luce – Ferdinand » par Mgr Pierre-Flavien Turgeon17, Archevêque de l’Archidiocèse de Québec.
Les membres du clergé présents à la signature de l’acte authentique du baptême de cette cloche sont Joseph Auclair, curé de Québec, Georges L. Lemoine, chapelain des Ursulines de Québec, Edouard Méthot, préfet des Études du Séminaire de Québec, Félix Buteau, Cyrille Légaré, prêtres du Séminaire de Québec, P.O. Drolet, L.B. Hallé, F. Roy, A. Racine, Ed. Demers et L.H. Paquet, séminaristes18. Cette cloche en bronze vient de la fonderie anglaise Whitechapel (Mears) de Londres. Son poids est de 312 livres, son diamètre de 24 pouces et sa note musicale, le FA# (dièse) (octave 4).
Selon le rapport sur la mission de Natashquan par François-Magloire Fournier (1861-1864), en avril 1863 :
« L’état général de ma mission n’est pas beaucoup différent de celui des années précédentes. À Nataskouan, le progrès des bâtisses est très lent, vu nos faibles moyens; cependant, je possède en grande partie les matériaux et l’argent nécessaires pour faire terminer le presbytère et une petite sacristie de dix-sept pieds carrés, commencés dans l’automne de 1861. La population de Nataskouan a doublé depuis deux ans. Elle est aujourd’hui de quarante familles et de cent quarante-sept communiants. Je ne saurais me réjouir de cet accroissement de population, en pensant que le revenu si inconstant et si variable de la pêche est presque l’unique moyen de gagner la vie en ce pays…
J’éprouve une vraie satisfaction de pouvoir dire à Votre Grandeur que dans le petit village de Nataskouan, le bon ordre, la concorde et la paix règnent d’une manière admirable. Le dimanche, lorsque je suis présent à la mission, c’est toujours pour eux une grande joie d’assister à la messe qui est chantée par six chantres, enfants d’une dizaine d’années, que j’ai exercés durant les longs mois de l’hiver. Ils chantent déjà avec aplomb la messe royale, la messe double majeure… Avec de fréquents exercices, joints à leurs heureuses dispositions, ils seront bientôt de bons chantres. Le revenu de la chapelle, provenant de la vente annuelle des bancs est de 12 louis soit 48 $, somme suffisante pour son entretien.19 »
Durant l’été 1870, un autre rapport de mission effectué par Louis-Stanislas Arpin, missionnaire à Natashquan (1869-1872), en dit plus long au sujet de la chapelle :
« …Me voici maintenant à ma résidence ordinaire. Sur un plateau assez élevé, à l’embouchure du petit « Nataskouan » s’élève l’humble chapelle de Notre-Dame. Du port et de toutes les parties de la baie, on aperçoit le modeste clocher qui la surmonte. Elle n’est terminée ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, mais bien pourvue de vases sacrés et des ornements nécessaires au culte. La sacristie est terminée, sauf la cheminée que j’ai hâte de voir parachevée, dans la crainte des accidents du feu. Une palissade entoure maintenant ces édifices, aussi bien que le presbytère et le cimetière. Reste encore à faire le solage en pierre ; les matériaux sont rendus sur place et j’attends un moment opportun pour les faire employer.20 »
Le missionnaire Jacob Gagné (1872-1875), pour l’année 1872 et 1873, fait état d’un inventaire plus détaillé relativement à la chapelle et de ses dépendantes :
« …La chapelle est maintenant, depuis les derniers achats, pourvue de tous les objets nécessaires au culte. Il n’y a point de fonts baptismaux dans la chapelle ; ils sont encore dans la sacristie jusqu’à ce que j’aie reçu l’autorisation demandée. Cependant, la chapelle est si petite pour la population, (et) je crois que ce serait difficile pour le présent, tant qu’il n’y aura pas de jubé pour laisser plus de place dans le bas. Il n’y a qu’une grille posée sur la balustrade dans un des côtés de la chapelle. Un morceau d’étoffe qui entoure le pénitent en fait une espèce de confessionnal.
La chapelle, à présent, est dans un bon état, le clocher ne fait plus d’eau, il y a deux cheminées, l’une sur la chapelle, l’autre sur la sacristie, la voûte, les bancs, le plancher du choeur sont peinturés ; la chaise et les dalles imitées en chêne ainsi que les bancs. La sacristie et le presbytère sont aussi en bon état. Il n’y a point de salle publique et ce n’est point nécessaire, toutes les habitations étant proches de la chapelle. Une belle grande croix se trouve au milieu du cimetière. Le cimetière est entouré d’une magnifique clôture et très solide. L’étendue des terres de la chapelle est de 120 pieds carrés, entourés d’une palissade. La chapelle est en bois (40’ x 28’) 14 pieds de carré x 22 pieds de clocher. Il n’y a point de chapelle latérale. Trois images : Jésus-Christ en croix, l’Immaculée-Conception et Saint François-Xavier. La sacristie a 18 pieds carrés construits en bois. Le presbytère a 22 pieds sur 23 en dedans, construits en bois. Le cimetière a 66 pieds sur 40 pieds. Les bancs de la chapelle sont à rente annuelle.21 »
Le 10 octobre 1874, Mgr Jean Langevin22 donne un diplôme « d’autel privilégié » à la chapelle de Natashquan.
En 1884, on s’aperçoit que la chapelle est trop petite et l’on décide de l’allonger de trente-cinq pieds. Mgr François-Xavier Bossé23, faisant la visite pastorale à Natashquan, le 27 octobre, écrit dans les archives de la Mission, qu’il aurait préféré que l’on bâtisse une église neuve, mais qu’il autorisait néanmoins l’agrandissement projeté qui imposerait une dépense moins considérable à la population. Ce motif était fort raisonnable car, dans ces années-là, la pêche était peu fructueuse. Cet agrandissement, devenu nécessaire en raison de la croissance de la population, fut terminé l’année suivante.
Depuis quelques années, la chasse au loup-marin et la pêche à la morue sont à peu près nulles, et l’hiver de 1885-86 est terrible à passer. À l’été 1886, la morue manque complètement, comme aux quatre années précédentes. Plusieurs familles agréèrent la proposition de l’abbé François-de-Borgia Boutin24, missionnaire à Natashquan (1885-1886), de quitter le village et d’aller s’établir sur des terres pour se livrer à l’agriculture. Le 26 septembre 1886, plus de vingt familles de Natashquan partent. Elles montent à bord du vapeur Napoléon III en compagnie de l’abbé Boutin, qui vient d’être nommé curé de Saint-Côme de Beauce.
Une lettre pastorale de Mgr François-Xavier Bossé, du 25 novembre de la même année nous donne un aperçu de cette émigration massive vers la Beauce et explique les directives à prendre avec le nouveau missionnaire, l’abbé François-Xavier Couture25 (1886-1889), pour l’entretien de la chapelle et de ses dépendances :
« Le départ d’un grand nombre de familles qui vous ont laissés cet automne avec nos meilleurs souhaits et encouragements dérange un peu vos affaires d’école et d’église. Mais avec une bonne volonté et un peu d’efforts et de sacrifices, tout sera bientôt remis sur un pied satisfaisant. Quant à votre église, elle n’a pas de dettes après les ouvrages que vous y avez faits. Sans doute si on avait su d’avance que la pêche manquerait ces deux années-ci et que tant de familles partiraient, on aurait attendu à plus tard pour agrandir… Le chauffage de l’église ne pourrait-il pas se faire gratuitement, un homme de coeur prenant sa semaine. En hiver, sur semaine, on ne se sert que de la sacristie. Vous chargez vingt piastres sur vos dépenses pour « coltarer » la chapelle; pourquoi ne pas faire cela de bonne grâce au printemps, les uns fournissant le « coltar » et l’huile et les autres « coltarant ». Vous en êtes au plus difficile. Je crois que dans un an ou deux, votre église aura vendu tous ses bancs, et alors il n’y aura pas de crainte de déficit.26 »
À l’automne 1890, on achève l’une des ailes de l’église. Le jour de Noël de la même année, la population de Natashquan présente au missionnaire Abraham Vaillancourt27 (1889-1892) une belle « adresse » et la somme de quarante-neuf dollars pour terminer la seconde aile de l’église, qui sera finalement achevée durant l’année 1898 sous la responsabilité de l’abbé Joseph-Antoine Savard (1896-1899).
En 1903, Rome confie tout le territoire de la Côte-Nord à la Congrégation des Pères Eudistes. Natashquan commence ainsi sa deuxième période de vie paroissiale avec l’arrivée des « Pères Français ». À cette époque, c’est encore un pays de mission; l’organisation, aussi bien matérielle que spirituelle, repose sur la congrégation. C’est sous leur direction que les premiers conseils, municipal, scolaire et de fabrique sont établis, que le service médical est assuré par la bienveillance du Ministère
de la Santé de Québec, que d’autres améliorations de moindre importance mais indispensables sont faites
dans la paroisse.
En 1904, le Père Gustave Blondel (1904-1908) obtient de Mgr Gustave Blanche28 l’autorisation de construire un presbytère à Natashquan. Dès que le bois arrive de Québec, les meilleurs ouvriers, dont Hilaire Carbonneau et ses fils, se mettent à l’œuvre. « Est-ce un monastère qui s’élève? » L’édifice est si vaste que le successeur du Père Blondel songe aussitôt à en consacrer une partie à un petit couvent, dans lequel trois religieuses et une dizaine de fillettes auraient pu évoluer à l’aise. Ce projet, pourtant très conforme aux besoins de l’époque, n’aboutit pas, au grand désespoir de son promoteur.
L’église de Natashquan, construite en bois, a la forme d’une croix latine, développée dans le sens de la longueur. À sa construction initiale, les structures de la toiture possédaient de larges larmiers de chaque côté du toit. Les bras du transept, porte d’arche en arc surbaissé, vinrent s’ajouter au corps de l’église après l’agrandissement, en 1884. De grosses poutres de pin équarries à la main sont visibles dans le soubassement; ces poutres proviennent d’un navire échoué à l’embouchure de la grande rivière Natashquan, en 1860 (voir pages 20 et 21).
Les fondations sont en pierre, en mortier et en ciment. Les portes, les fenêtres, le revêtement des murs et des bancs sont au départ construits de bois et de planches. Les sculptures, les motifs pour le maître-autel et les autels latéraux, ainsi que les décorations ornant le plafond et l’arc surbaissé dans la nef ont été fabriqués au fil des ans par les gens du village. L’église compte plusieurs retables peints et sculptés sur lesquels on retrouve des statues de plâtre. L’église possède également un jubé, au-dessus des portes d’entrée. La sacristie a un toit à deux versants recouvert de bardeaux de bois et il y a une lucarne au-dessus de la porte.
Durant la période de 1910 à 1916, des améliorations importantes ont lieu sous la responsabilité des Pères Louis Garnier (1908-1918) et Joseph Gallix (1907-1931) : on effectue les travaux au maître-autel et aux autels latéraux, ainsi que sur les fenêtres et on termine la décoration intérieure comme les sculptures, les peintures et les dorures.
C’est ainsi que le 30 janvier 1910, une réunion des marguilliers a lieu au presbytère en présence du Père Garnier. Le sujet principal de discussion est l’érection de « l’autel » ainsi que la problématique de la peinture dans la chapelle. Cet hiver-là, Hilaire, Edmond, Chrysologue et Ernest Carbonneau travaillent principalement à l’érection de cet autel et construisent la clôture du terrain de l’église. En ce qui concerne la peinture, le Père Garnier écrit une lettre au curé de Saint-Come, Comté de Joliette, dont en voici un extrait :
« Je voudrais peindre notre pauvre petite chapelle l’été prochain et comme elle possède trois « autels » neufs convenables, je n’ose pas la confier à nos peintres. Je suis pauvre et si je consulte mes faibles ressources, je disposerai peut-être de 300 à 400 dollars au minimum pour peinturer un bronze doré et main d’œuvre. Je vous prie de bien vouloir, s’il vous plaît, me dire si monsieur Wilfrid Chevrette, l’un de vos paroissiens que l’on m’a par hasard recommandé, nous donnerait satisfaction au cas où il accepterait de venir passer ici deux mois de villégiature. J’ai cru préférable de vous écrire avant d’entrer en relation avec lui. L’isolement dans lequel je me trouve sera mon excuse près de vous.30 »
« C’est une affaire entendue, monsieur Wilfrid Chevrette viendra en juillet prochain donner à notre chapelle un air de cathédrale, vous me feriez plaisir de l’accompagner. Je donnerai 2.00$ par jour à monsieur Chevrette, il sera nourri, il s’adressera au bureau de monsieur Holliday. Je paierai moi-même le passage, espérant obtenir une réduction.31 »
Pendant cette période, un autre obstacle majeur reste à solutionner : la mer, en frappant de ses vagues parfois furieuses, mine peu à peu une petite dune de sable qui la sépare de l’église et du presbytère. Après un premier essai dans les années 1889-1892, le Père Blondel, dès son arrivée à Natashquan en 1904, avait formé une digue au moyen de pieux placés les uns à côté des autres et enfoncés dans le sable. Mais le flot finit par miner le sable au pied de cette chétive muraille et emporta les pieux pourtant bien liés ensemble avec une « broche » solide. Des vides se firent alors, de plus en plus larges, laissant à la mer toute liberté d’exercer ses ravages.
Le problème n’étant pas réglé, le Père Garnier consulte la population et il est résolu de ne plus attacher les poteaux mais de les planter dans le sable à une certaine distance les uns des autres. Or, la glace qui atteint tout le long des rives des dimensions considérables, allant parfois de cinq à six pieds, brise plusieurs poteaux dès l’hiver suivant. Divers projets sont proposés, de nombreuses discussions ont lieu au village et même les voyageurs sont interrogés sur le sujet. La solution inédite, est finalement trouvée : avec les milliers de pieux restés debout, ajoutés à ceux que chaque famille s’engage à fournir au temps fixé, on construit une muraille large, faite de pièces soigneusement agencées et solidement clouées. Ces piliers ou « cages » remplies de pierres, offrent à la mer des angles aigus sur lesquels la vague,
en se brisant, perd de sa force. À la suite de demandes réitérées auprès du ministre de la colonisation de l’époque, la somme modique de sept cents dollars est obtenue pour ce travail. Vers 1948, c’est-à-dire après quarante ans, ce brise-lames, entretenu et prolongé par les successeurs du Père Garnier, a sauvé les deux principaux édifices du village d’une destruction certaine.
Le 27 octobre 1929, la nouvelle cloche « Marie – Julien – Joseph » est bénite. Le journal quotidien de la Baie d’Hudson confirme cet événement : « ...Dimanche, 27 octobre 1929. La nouvelle cloche a sonné, aujourd’hui, pour la première fois.32 »
« Furent parrains et marraines, Alfred Vigneault et son épouse Joséphine Mathurin, Léon Gagnon et son épouse Marie-Louise Tremblay qui ont signé avec nous, ainsi que le Révérend Père (Alfred) Léger, Eudiste, prédicateur à la retraite du jubilé par sa Sainteté le Pape Pie XI à l’occasion du cinquantenaire de son ordination sacerdotale.33 »
Cette cloche en bronze est coulée par la fonderie Paccard, à Annecy-le-Vieux, en Haute-Savoie (France), puis importée et installée par la maison C. Émile Morissette de Québec. Son poids est de 900 livres, son diamètre à la base de 35 pouces et sa note musicale est le LA (octave 3).
Le Père Joseph Gallix a administré la paroisse de Natashquan pendant vingt-trois ans, de 1907 à 1931. Une plaque commémorative a été mise dans l’église par les paroissiens après sa mort afin qu’il reste dans les mémoires. Le Père Louis Garnier a, quant à lui, passé dix années avec lui, de 1908 à 1918. C’est avec peine que les paroissiens ont appris que celui-ci ne reviendrait pas d’une retraite ecclésiastique. Beaucoup de travaux essentiels comme le quai, le pont, le brise-lames et d’importantes réparations de l’église se sont exécutés lors de leurs années passées à Natashquan.
Des rénovations majeures sont entreprises en 1945. La toiture de l’église est refaite avec de la tôle, le maître-autel et les autels latéraux sont repeints de couleur blanche et bleue en remplacement de la dorure; l’intérieur et l’extérieur sont également peints et une nouvelle cheminée est installée à l’extérieur, du côté nord.
À partir de 1948, les curés qui arrivent à Natashquan sont des prêtres du clergé séculier. René Fortin arrive le premier et l’église est repeinte pour l’occasion. Arthur Parent le remplace en 1952. Il est le principal instigateur de la construction du nouveau presbytère en 1954. Ces deux jeunes prêtres s’emploient surtout à stabiliser et parachever l’œuvre de leurs devanciers.
C’est sous la responsabilité de Père Gilles Bernier, arrivé à Natashquan à l’été 1958, qu’on effectue d’autres rénovations à l’église et au cimetière du village. La fournaise est tout d’abord remplacée, de même que la cheminée extérieure, par un matériau plus moderne et plus sécuritaire. Des retouches sont également apportées à l’église et au presbytère :
« …Depuis la dernière visite canonique, le cime-tière a subi une remarquable restauration par son nivellement et la distribution de ses monuments selon un plan bien ordonné. On a sorti du sable les épitaphes que le vent avait ensevelies. On a étendu de la tourbe et refait la clôture. En mai et en juin 1961, l’entretien du presbytère a connu une heureuse transformation par un ménage complet et du peinturage. En août précédent, ce fut le tour de l’extérieur. Cette même année, en juin, on a peinturé l’église en blanc avec cadres verts et couverture en aluminium. Le toit est d’un bel effet.34 »
Mais des restaurations majeures doivent être envisagées. Une étude approfondie de l’église est effectuée à l’été 1975 par l’enquêteur Yvan Chouinard.
« Autrefois, la toiture possédait de larges larmiers de chaque côté du toit, mais des rénovations faites, il y a vingt-cinq ou trente ans, les auraient fait disparaître extérieurement. On retrouve encore les structures de l’ancien toit et on a recouvert le toit d’une bonne protection de tôle. Les bras du transept sont venus s’ajouter au corps de l’église après l’agrandissement de la première chapelle faite par Hilaire Carbonneau vers la fin du dix-neuvième siècle. De grosses poutres de pin équarries à la main sont visibles dans le sous-sol. Ces poutres proviendraient d’un navire échoué devant Natashquan.
La sacristie, à l’arrière, possède des bancs et un « autel » qui se trouve adossé au « maître-autel ». On se servait de la sacristie pour dire la messe de tous les jours, durant l’hiver, pour économiser le chauffage. Les « autels », ou tout au moins le « maître-autel » avait beaucoup de dorure autrefois, mais on l’a repeint en blanc et en bleu. La dorure était sûrement assez coûteuse à l’époque, mais c’est bien moins joli. Monsieur Trudel a même passé un avant-midi à gratter un côté du « maître-autel » pour s’assurer de la présence de la dorure sous l’actuelle peinture.
La famille Carbonneau a été celle qui a le plus travaillé aux différentes étapes de l’érection de l’église actuelle. Depuis Hilaire qui vint s’installer à Natashquan en provenance de Berthier et ensuite ses fils et petits-fils, un bon nombre a travaillé dans l’église. La première chapelle a été agrandie par Hilaire et ce serait lui aussi qui a sculpté les motifs pour le « maître-autel » et qui a fait les décorations ornant le plafond. Ensuite, ses fils ou petits-fils ont contribué aussi à orner l’intérieur de cette église.
Les bancs actuels sont en bois et ont été fabriqués ici. Mais ils sont très inconfortables parce qu’ils sont trop carrés et les « spécialistes » qui sont venus (messieurs Villandré, l’architecte et Trudel, l’ethnologue) ont dit qu’il serait possible de refaire des bancs plus confortables avec le même bois, en essayant de garder l’esprit de ceux qui sont en place actuellement.35 »
Le Père Gilles Bernier entreprend donc, entre 1976 et 1981, des rénovations qui transformeront l’église en profondeur. Un sous-sol est creusé et ces travaux entraînent la démolition des bancs d’origine et des colonnes latérales. Le maître-autel et les autels latéraux sont décapés et vernis, un portique est ajouté, le toit est refait et finalement, un tapis et des nouveaux bancs sont installés.
Par une belle journée d’été, le 18 juillet 1981, est ordonné à Natashquan le premier prêtre natif de la paroisse, Réjean Vigneault. La cérémonie a lieu en plein air devant une foule estimée à plus de mille personnes. Le lendemain, Réjean célèbre au même endroit sa première messe, en présence du père Gilles Bernier.
L’église du village donne des signes de vieillesse au cours des années 1990 et des travaux majeurs doivent à nouveau être exécutés. Dès son arrivée à Natashquan,
à l’été 1995, le père Jean-Marie Côté effectue donc quelques réparations urgentes sur la toiture et le clocher. Au printemps 1997, avec les dons reçus de la population et du bénévolat, on réalise d’importants travaux sur l’éclairage, l’isolation et le recouvrement et on procède à l’abaissement du terrain près de l’église. Ce geste de générosité des gens de Natashquan est grandement apprécié et permet d’envisager le futur de l’église, fleuron du patrimoine bâti local de manière plus sereine.
En septembre 2008, c’est avec tristesse que la population salue le départ du père André Laroche, après quatre années de pastorat exercé dans les paroisses de l’est de la Minganie. Son départ constitue un défi de taille pour la communauté chrétienne locale, car il marque la fin de la présence d’un prêtre résident dans la région. Depuis, des efforts accrus doivent être consentis pour assurer le maintien de services liturgiques réguliers dans la paroisse.
1. Charles ARNAUD, 1826-1914, prêtre, oblat de Marie-Immaculée, missionnaire catholique, explorateur et taxidermiste. Voir BOUCHER (Romuald), Charles Arnaud, dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. XIV, 1911-1920, www.biographi.ca.
2. Louis-François BABEL, 1826-1912, prêtre, oblat de Marie-Immaculée, missionnaire catholique, mais aussi linguiste, géographe et explorateur suisse. Il a passé la majeure partie de sa vie au Canada. Voir BOUCHER (Romuald), Louis Babel, dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. XIV, 1911-1920, www.biographi.ca.
3. Jean-Baptiste-Antoine FERLAND (Abbé), 1805-1865, historien canadien-français ordonné prêtre en 1828, professeur d’histoire canadienne à l’Université Laval à partir de 1855. Ses cours magistraux, publiés sous le titre de Cours d’histoire du Canada, établirent définitivement sa réputation. Cet ouvrage a longtemps fait figure d’autorité chez les spécialistes de l’histoire canadienne. Ferland a également publié dans les Soirées Canadiennes de 1863 le Journal d’un voyage sur les côtes de la Gaspésie et dans la revue Littérature Canadienne de 1863, il publia une Étude sur le Labrador, qui avait déjà paru dans les Annales pour la Propagation de la Foi. Voir GAGNON (Serge), Jean-Baptiste-Antoine Ferland, dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. IX, 1861-1870, www.biographi.ca.
4. FERLAND (Jean-Baptiste-Antoine), Opuscules, 1912, p.46.
5. Charles-Félix CAZEAU, 1807-1881, secrétaire du diocèse de Québec de 1830 à 1850, puis vicaire général du même diocèse de 1850 à 1881. Nommé vicaire général en 1850 par Mgr Turgeon, Cazeau s’emploie à promouvoir les intérêts de l’Église auprès du pouvoir civil, tout en continuant, jusqu’en 1870, d’expédier les affaires courantes
de l’archidiocèse. Aumônier des Sœurs du Bon-Pasteur, à Québec, il supervise également la création des nouveaux diocèses de la province ecclésiastique de Québec. Voir LINDSAY (Lionel), Charles-Félix Cazeau, dans The Catholic Encyclopedia, vol. 3, 1908.
6. Lettres datées du 20 mai et du 5 juillet 1859. Archives de l’évêché de Baie-Comeau
7. Narcisse ROSA, 1823-1907, important constructeur de navires de la ville de Québec et auteur de l’ouvrage La construction des navires à Québec et ses environs.
8. 1 louis équivaut à environ 4 $.
9. Journal l’Aquilon, 4 février 1956.
10. The Quebec Mercury est un journal quotidien anglophone distribué essentiellement à Québec durant le XIXe siècle, de 1805 à 1863. Le fondateur et éditeur du journal, Thomas Cary, respectait le lien de l’union coloniale entre le Canada et le Royaume-Uni et représentait les intérêts économiques et politiques des marchands anglophones.
11. Journal The Québec Mercury, 11 septembre 1860.
12. Journal The Québec Mercury, 24 novembre 1860.
13. Au printemps 1857, les frères Edward et Elias De La Perrelle, quittent leur emploi chez Robin pour former une nouvelle société, la De La Perrelle Brothers. Ils font d’abord l’acquisition de l’établissement de Nicholas Dumaresk et fondent un nouvel établissement de pêche à Petit-Natashquan, à l’ouest du village fondé deux ans plus tôt par des immigrants des Iles-de-la-Madeleine. D’origine jersiaise, ils ont tous deux occupé, depuis leur arrivée au Canada, la fonction de gérant de l’un ou l’autre des établissements Robin. Ils seront présents à Natashquan jusqu’en 1876.
14. Lettre d’Alfred W. Legrand à Peter C. Camiot sur les établissements de pêche à Natashquan du 5 octobre 1936.
15. François-Xavier PLAMONDON, 1825-1894, ordonné prêtre à Québec le 02 octobre 1853, vicaire à Saint-Roch de Québec, premier curé résidant de Sainte-Sophie d’Halifax, chapelain de l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec, il effectua une mission au Labrador en 1860. Voir ROY (Pierre-Georges), François-Xavier Plamondon, dans Bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, de numismatique,… vol. 7, 1901.
16. François-Magloire FOURNIER, 1836-1903, curé-missionnaire à Natashquan, ordonné prêtre à Québec, le 14 Septembre 1859, chanoine de Rimouski. Voir L’Estuaire, no 70, juin 2010.
17. Pierre-Flavien TURGEON, 1787-1867, archevêque de Québec de 1850 à 1867. Voir GAGNÉ (Armand), Pierre-Flavien Turgeon, dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. IX, 1861-1870, www.biographi.ca.
18. HUARD (Victor-Alphonse), Labrador et Anticosti, 1897, p.366.
19. Rapport sur la mission de Natashquan, 1863. Archives de l’évêché de Baie-Comeau.
20. Rapport sur la mission de Natashquan, 1870. Archives de l’évêché de Baie-Comeau.
21. Rapport sur la mission de Natashquan, 1872-1873. Archives de l’évêché de Baie-Comeau.
22. Jean-Pierre-François-Laforce LANG
23. François-Xavier BOSSÉ, préfet apostolique du Golfe du Saint-Laurent, évêque de Baie-Comeau de 1882 à 1892 puis camérier secret de Sa Sainteté.
24. François-de-Borgia BOUTIN, 1847-?, vicaire de Saint-Georges de Beauce, missionnaire sur la Côte-Nord en 1885, fondateur du village de Saint-Théophile de Beauce.
25. M. François-Xavier COUTURE, 1860-?, ordonné à Québec le 30 mai 1885, vicaire à Sainte Julie, curé du Sacré-Cœur de Marie, comté de Mégantic. Voir Recherches historiques, Bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, de numismatique …, vol. 7, 1901.
26. Mandements des évêques du golfe Saint-Laurent, vol. 1, 1668-1905, p.145-147.
27. Abraham VAILLANCOURT, 1831-?, ordonné prêtre le 26 mai 1888, vicaire à Saint-Lazare (1889), à Saint-Basile (1890), à Natashquan (1895), et à Beaurivage. Voir TRUDELLE (Joseph), Charlesbourg, Mélanges historiographiques, 1921.
28. Gustave BLANCHE, 1848-1916, prêtre eudiste, éducateur, évêque titulaire de Sicca-Veneria et vicaire apostolique du golfe Saint-Laurent. Il s’installe en 1905 sur la Côte-Nord. Il passe le premier hiver à Pointe-aux-Esquimaux (Havre-Saint-Pierre), puis, en 1906, il décide de s’établir à Sept-Îles, dont il veut faire le centre du vicariat. Voir LALIBERTÉ (Micheline), Gustave Blanche, dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne, 1911-1920 (Volume XIV), www.biographi.ca.
29. CHOUINARD (Yvan), Dossier préliminaire sur l’église de Natashquan, 1975.
30. Lettre du 8 août 1910.
31. Lettre du 14 octobre 1910.
32. Journal de la compagnie de La Baie d’Hudson, poste de Natashquan. 1928-1939.
33. Notes de Mme Wellie Vigneault (Marie Landry) sur Natashquan. Fonds personnel Bernard Landry.
34. Acte de visites : visite annuelle du Père Paul-Henri Barabé, o.m.i., provincial. Natashquan, 11-14 juillet 1962.
35. CHOUINARD (Yvan), Dossier préliminaire sur l’église de Natashquan, 1975.